Parlons de l’esprit d’aventurier. Pour ceux qui vivent ou sont originaires des Açores, cet esprit est très présent. Pour paraphraser un article du New York Times, «environ un million de Nord-Américains sont nés aux Açores ou sont d’origine açoréenne». Cela signifie qu’environ quatre fois plus d’Açoréens vivent et prospèrent hors de leur terre d’origine.
Cependant, cela ne signifie pas nécessairement qu’ils ont délaissé leurs racines ou renoncé à leur fierté nationale. En fait, ce serait plutôt le contraire; de nombreux émigrants des Açores font la fierté de leur patrie depuis plus d’un siècle.
Pour se situer géographiquement, les Açores se décrivent comme un archipel volcanique portugais autonome dans l’océan Atlantique Nord. Associez à cela un climat tempéré enviable et des panoramas à couper le souffle, il est alors facile de comprendre que cet endroit ait donné jour à un peuple vaillant aux idéaux altruistes. De plus, la diaspora açoréenne vivant à l’étranger partage un idéal de faire en sorte que son pays d’origine demeure un endroit où elle pourra un jour retourner.
Gina Savoie n’a jamais craint le travail assidu. Avant même de connaître sa véritable lignée, sa capacité de triompher des obstacles en apparence insurmontables lui est venue naturellement. Fille d’une mère veuve et toujours avide d’apprentissage, Gina a grandi à Joliette, au Canada, où sa mère a encouragé son insatiable curiosité pour le monde qui l’entourait.
Lorsque Gina est passée de jeune fille à jeune femme, sa motivation intérieure et son éthique de travail ont aussi évolué. Sa curiosité naturelle et sa persévérance sont ce qui a amené Gina à la réussite dans le commerce de détail à l’adolescence jusqu’à la co-fondation et l’administration, à l’âge adulte, d’une entreprise florissante en gestion des risques pour les entreprises, ayant des intérêts à travers le monde.
N’étant pas du genre à se reposer sur ses lauriers, Gina est retournée en classe à l’âge de 48 ans, preuve supplémentaire que la destination a toujours fait partie du voyage de cette femme pleine d’énergie. Décrochant une place convoitée à la compétitive Anderson School of Management de UCLA, elle a perfectionné ses compétences exécutives tout en obtenant une certification en gestion avancée et en leadership.
Gina semble avoir une soif insatiable de connaissances et d’expériences de vie. Mais d’où vient cette persévérance? Peut-être est-ce là l’influence de sa secrète lignée paternelle. Ayant grandi avec la conviction que son père était décédé lors d’un accident du travail alors qu’elle n’avait que trois mois, elle a découvert ses surprenantes origines à 43 ans.
Croyant être orpheline de père durant tout ce temps, c’est au cours de sa 43e année que Gina a vécu deux événements qui ont bouleversé sa vie. Malheureusement, le premier a été la perte de sa mère. Tout juste après ce douloureux événement est venu le choc d’apprendre l’identité de son véritable père biologique. Ce cadeau inattendu s’est présenté sous une forme insoupçonnée. Celle d’un ami proche de la famille. Un homme que Gina connaissait depuis toujours. Il lui a dévoilé la vérité sur son héritage; qu’il était en fait son père biologique, et qui plus est, qu’ils étaient tous deux d’origine açoréenne. Forte de cette révélation sur sa nouvelle identité et son riche héritage culturel, Gina a mis son énergie à apprendre tout ce qu’elle pouvait au sujet de ses ancêtres açoréens.
Et Gina n’est pas de n’importe quelle descendance açoréenne! Non. Elle a découvert qu’elle appartenait à une lignée historique des Açores; celle du Capitaine João Bettencourt, son arrière-grand-père et de João Junior Bettencourt son grand-père paternel. On dit du Capitaine qu’il possédait de vives et légendaires passions, à l’image de la fougue des Açoréens. Il a aussi défendu des idéaux démocratiques forts, résistant avec véhémence au régime communiste qui était au pouvoir durant ses années de formation et de carrière militaire. Bien que ses activités l’aient finalement amené à être emprisonné et déporté du Portugal continental vers les îles des Açores, il n’en demeure pas moins une référence historique.
Comme c’est bien souvent le cas de grand-père en père et de père en fils, il appert que le petit-fils du Capitaine Bettencourt, João Norberto da Rosa, était destiné à suivre les traces de son grand-père anticonformiste. À la fin des années 1950 (du 27 septembre 1957 au 24 octobre 1958) est survenue l’éruption volcanique de Capelinhos sur l’île de Faial qui a duré 13 mois. Durant cette période, près de 2000 Açoréens ont été déplacés par les effets dévastateurs de l’éruption. À cette époque, le Canada et les États-Unis ont ouvert leurs portes à de nombreux immigrants cherchant refuge contre les ravages de leur patrie. Toutefois, l’âge légal de la majorité au Canada était alors de 21 ans et João Norberto da Rosa n’en avait que 18. Quelle fut sa réponse pour contrer à cette situation épineuse? Il a tout simplement menti.
Donc, à l’âge tendre de 18 ans, ce jeune homme est monté à bord du premier vol nord-américain disponible pour atterrir au milieu de l’inconnu. Se retrouvant dans un pays étranger, sans en parler la langue, sans famille sur laquelle compter et sans savoir où il allait s’établir, João s’est lancé sur le parcours de sa nouvelle vie et de celle qui allait aussi être le début de l’histoire de Gina.
La résilience l’ayant amené à complètement se remettre d’une tuberculose contractée dans son enfance s’avère avoir donner à João Rosa la force de surmonter les défis. Avec sa débrouillardise, il a appris seul à parler, lire et écrire le français. Une fois capable de communiquer couramment dans sa terre d’adoption, d’autres succès ont suivi et une tendance entrepreneuriale l’a amené à créer sa propre entreprise en tant que technicien d’appareils électroménagers.
C’est ainsi que le début de l’histoire de João et Gina est bouclée. En 2017, après avoir rencontré à Montréal des membres de la famille de son père biologique, Gina et son partenaire, Benoit Grenier, se sont rendus aux Açores. À ce moment le tableau des Açores est devenu clair pour Gina. C’est alors qu’elle a pu tisser des liens avec une famille qu’elle a complétée par sa simple présence et appris à quel point les racines familiales sont profondément ancrées dans le coeur des Açoréens.
Les Açores s’avèrent si magiques pour Gina et Benoit qu’ils prennent la décision de s’y établir en permanence et de créer une filiale de PARM (Grenier & Savoie Lda) sur l’île de Faial; ils y déménagent en partance de Los Angeles au début de 2019. Il faut dire que les vues luxuriantes et les plages balayées par la mer en font un endroit idéal pour la maison du couple de passionnés de voile. Et Gina – dont l’ADN des Açores coule dans les veines – s’y est installée comme le ferait une native.
Vous n’avez pas besoin de chercher très loin pour trouver un autre lien significatif entre les Açores et l’équipe PARM. Étonnamment, bien qu’elle lui ait déjà fourni l’arrière-petite-fille de l’une des âmes des plus rebelles que les Açoréens eurent connues à la barre, Dame Destin avait encore un autre cadeau açoréen à lui offrir.
Loin de se douter de ce qui allait arriver, Bryan de Lima, courtier en assurance commerciale doté d’une expérience reconnue en stratégie de vente, a un jour répondu au téléphone en remplacement d’un collègue en vacances. Ce jour était précisément celui où Benoit Grenier, le mari de Gina, a choisi pour se renseigner sur la police de leur entreprise.
Fils d’émigrés açoréens, Bryan connaît la valeur du dur labeur et du sacrifice nécessaire pour garder le cap quelques soit les obstacles qui se présentent sur son chemin. Il était toutefois un peu sceptique lorsqu’un inconnu l’a contacté et a entamé la conversation sur ses origines açoréennes. Tel que Bryan l’a affirmé par la suite, l’histoire s’est déroulée à peu près ainsi.
Malgré la faible population des Açores, les familles des parents de Bryan ne se connaissaient pas avant d’émigrer au Canada. Pourtant, c’est au Canada qu’ils se sont rencontrés et sont tombés amoureux. En raison de la dictature fasciste de l’époque, les deux familles ont fui vers le Canada dans l’espoir d’échapper à l’emprise de la pauvreté qui s’était généralisée dans les îles des Açores. Sa famille maternelle a traversé l’Atlantique en 1964 alors que sa mère n’avait que sept ans, et sa famille paternelle a suivi au début des années 1970, juste avant le 18e anniversaire de son père.
Avec le temps, d’autres membres des deux côtés de la famille de Bryan se sont expatriés au Canada et aux États-Unis en Nouvelle-Angleterre. Ceci a eu pour conséquence que 14 membres de la famille de sa mère ont vécu dans une maison avec 3 chambres à coucher, pendant une année entière – maison que sa famille possède encore aujourd’hui. Ce qui surprend, c’est que ce fut une décision prise en famille; non pas par nécessité mais par sacrifice. Ils ont décidé tous ensembles de vivre dans une seule maison dans le but d’économiser. Ils envisageaient ainsi amasser suffisamment d’argent pour acheter des immeubles et investir dans des placements immobiliers afin de subvenir à leurs besoins en tant que Canadiens. En trois ans, cette vision est devenue réalité.
Bien déterminée à quitter une vie de pauvreté aux Açores, la famille de Bryan s’est consacrée corps et âme pour bâtir un avenir meilleur pour eux et pour les générations futures de leur famille.
Travaillant sans relâche dans l’industrie du vêtement à New York, Toronto et Montréal, la grand-mère maternelle de Bryan était destinée à être la seconde de trois générations de veuves. Toutefois, elle était ingénieuse et économe. Elle fabriquait elle-même les vêtements de la famille et mettait de côté chaque dollar gagné se méritant ainsi un confort financier. Au moment où Bryan est né en tant que Portugais-Canadien de première génération à Montréal, les années de sacrifice et le travail acharné d’une seule génération de la famille avaient déjà apporté d’énormes changements.
Avec les années, Bryan a compris qu’aussi pour sa famille, comme pour des milliers d’autres qui ont émigré en Amérique du Nord et réussi dans leur nouvelle vie, la décision de s’expatrier avait été prise par nécessité et pour certaines même, par désespoir.
Ce n’était aucunement le souhait de quitter leur foyer, leur famille ou leur culture mais plutôt une question de survie. Donc, de quoi se nourrit-on lors de cet éloignement presque forcé? De l’espoir. L’espoir que ces émigrants açoréens, profondément liés à leur patrie à travers leur héritage, cultivent en rêvant du jour où ils pourront rentrer sur leur île natale.
Aujourd’hui, Bryan se rend aux Açores plusieurs fois par année. Il visite sa mère qui réside sur l’île de San Miguel depuis qu’elle a pris sa retraite après une carrière de 40 ans comme parajuriste au Canada. Bryan est reconnaissant d’avoir grandi au Canada où le français et l’anglais sont parlés. Il souligne aussi, avec respect et en s’y conformant volontier, une coutume de la maison où il a grandi qui était qu’on y parlait que portugais. Grâce à cette règle, il peut désormais communiquer facilement et couramment dans la langue maternelle des Açores lors de ses visites.
En juillet 1998, un tremblement de terre a secoué les îles de Faial, Pico et São Jorge. La remarquable relève qui a suivi est l’un des exemples des plus frappants et des plus récents de la résilience açoréenne, qui a subi de multiples catastrophes et qui se sort de situations dans des conditions tellement difficiles qu’elles anéantiraient des communautés moins solidaires.
Similairement, à l’âge de 16 ans et après avoir difficilement subi les pertes de son père et de sa grand-mère bien-aimée à seulement six mois d’intervalle, Bryan a eu du mal à se retrouver dans ce monde qui n’avait plus beaucoup de sens pour lui. Ceci dit – comme les survivants du tremblement de terre de 1998 – il a commencé à fouiller dans les décombres de sa vie. Couche après couche, il a creusé sans relâche. Il a continué jusqu’à ce qu’il trouve un but auquel s’accrocher, après avoir traverser ce qu’il qualifie maintenant comme les pires années de sa vie, durant laquelle il a subi la perte de ceux qui ont joué un rôle si crucial pour faire de lui ce qu’il est aujourd’hui.
C’est à cette période qu’il a découvert le monde des arts martiaux. Une passion qu’il partageait avec son père et qu’il pratique encore aujourd’hui sous les formes du Mui Thai et du Jui-Jitsu brésilien. C’est avec cette même discipline et ce même engagement dont il a fait preuve lorsqu’il a obtenu sa ceinture noire de Jui-Jitsu brésilien, que Bryan est devenu un mari, un père et un chef d’entreprise prospère. À seulement 40 ans, il a maintenant pris les rênes de la gestion et de l’exploitation de ProActive Risk Management Inc (PARM).
Bien que certains appellent cela de l’entêtement, ce sont ces caractéristiques portugaises, et plus particulièrement açoréennes, que sont l’adaptabilité, la persévérance et la résilience, qui ont permis à de nombreux habitants de cette région de s’épanouir et de prospérer à l’étranger.
Il existe parmi les émigrants açoréens un sentiment profondément ancré de fierté nationale; c’est de cette fibre que son peuple vivant à l’étranger se nourrit, cœur et âme. Elle coule dans ses veines, peu importe où il habite, à tel point que le gouvernement des Açores a créé une Direction régionale des communautés.
Selon sa propre déclaration, ce comité, dirigé par le secrétaire adjoint régional à la présidence des affaires externes, a pour mission de “promouvoir le dialogue entre les communautés d’immigrants et d’émigrants et leurs représentants, et de stimuler leur participation civique et politique dans les collectivités où ils se sont installés. Son action repose sur deux objectifs: la préservation de l’identité culturelle et l’intégration des émigrants, des immigrés et des rapatriés.”
Alors que les premières vagues d’émigrants açoréens étaient en quête d’un futur en Amérique du Nord à travers l’industrie baleinière ainsi qu’à l’époque de la ruée vers l’or, les populations aujourd’hui dispersées font carrière dans une variété d’industries et de commerces. Plusieurs constatent que détenir la double citoyenneté et voyager régulièrement entre l’Amérique du Nord et les Açores leurs permet de créer et préserver des liens étroits avec la vie et la famille des îles.
Gina et Bryan sont deux exemples de réussite sur un million de familles émigrées des Açores. Mais ce sont des exemples élogieux de ce que la détermination, la persévérance et l’éthique de travail du peuple açoréen peuvent mener à bien dans notre monde moderne. Quelles étaient les chances qu’ils se croisent et conjuguent avec succès leurs forces afin perpétuer leur héritage des Açores? Comme l’histoire le démontre, ces chances ont été plutôt salutaires.